Transition énergétique : des États contraints de dédommager des producteurs d'énergies fossiles

Transition énergétique : des États contraints de dédommager des producteurs d'énergies fossiles

Politique & Société
1 février 2024

L’instabilité. C’est en résumé le contexte des dernières années du 20ème siècle. Le monde est marqué par une réorganisation des équilibres internationaux provoquée par la désintégration de l’URSS et des approvisionnements énergétiques en tension, du fait de la Première Guerre du Golfe. Dans ce contexte délicat, les Européens cherchent à sécuriser leur approvisionnement énergétique. C’est alors qu’en 1994, ils s’accordent sur un mécanisme de protection des investisseurs : ceux-ci acquièrent le droit d’attaquer en justice les Etats qui prendraient des décisions contraires à leurs intérêts. Le principe est posé dans le Traité sur la Charte de l’énergie, adopté par une cinquantaine de pays d’Europe élargie.

Un principe devenu obsolète

Face à l’impératif de transition énergétique, le TCE joue l’obstruction en protégeant les investissements des compagnies fossiles : un Etat peut être attaqué s’il prend des mesures qui affectent leur rentabilité. Les Pays-Bas l’ont expérimenté, ils se sont vu réclamer 1,4 Milliards d’Euros par l’énergéticien RWE en choisissant de se passer du charbon à l’horizon 2030.

Des dédommagements aux sommes astronomiques

Les litiges se soldent parfois sans même passer devant les tribunaux, la pression exercée par ce traité suffisant dans bien des cas à faire plier les États. Les menaces de poursuites ont convaincu l’Allemagne de débourser 4,3 Milliards d’Euros, préventivement après avoir acté, là aussi, la sortie du charbon. Les dédommagements comptabilisés depuis l’entrée en vigueur du traité s’élèveraient à plus de 42 Milliards d’Euros.

La France annonce son retrait

En octobre 2022, Emmanuel Macron a annoncé que la France se retirait du TCE. Le Président le justifie par une volonté de cohérence avec les objectifs climatiques adoptés par son pays. Une décision par-ailleurs soutenue par le Haut Conseil pour le Climat, il avait jugé le TCE contraire aux objectifs de l’Accord de Paris. L’économiste et membre du GIEC Yamina Saheb avait également défendu que « quand on est signataire, on perd sa souveraineté sur les politiques climatiques ».

Face à cette défiance, une tentative de modernisation du traité a été lancée en 2017. L’objectif : inclure des énergies bas carbone comme « l’hydrogène » ou « le biogaz », mais aussi permettre aux pays qui le souhaitent d’exclure la protection des énergies fossiles, avec cependant un délai d’application de 10 ans. Mais ces évolutions n’ont pas su convaincre, en novembre 2022, après 15 cycles de négociations, la Commission européenne a décidé de rejeter le projet.

Un mouvement de retrait se dessine

À la France s’ajoutent l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne, et quatre autres États européens qui ont annoncé, dans la foulée, leur volonté de se retirer du traité. Un abandon du TCE à grande échelle serait véritablement l’option la plus efficace pour éliminer les menaces de recours, et ce en raison d’une clause qui permet l’application du traité pendant 20 ans après le retrait d’un Etat.

Une clause de survie de 20 ans

20 ans de survie, au cours desquels les entreprises situées dans l’un des pays membres peuvent continuer à lancer des procédures contre les Etats qui s’en sont retirés. Quitter le traité en masse, cela signifie donc réduire ces possibilités de recours.

Et la Suisse ?

La Suisse, à l’inverse de ses voisins européens, semble plus complaisante avec les dispositions de ce texte. En novembre 2022, le Conseil fédéral déclarait que le TCE était dans l’intérêt du pays, particulièrement pour la sécurité de son approvisionnement. En réponse à une motion déposée au Conseil national, le gouvernement expliquait un peu plus tôt que « le risque de voir des investisseurs étrangers intenter des actions contre la Suisse était minime ». Il ne voyait pas non plus de contradiction entre le TCE et l’ambition des futures politiques énergétiques. Contacté, l’Office fédéral de l’énergie assure que le Conseil fédéral continue d’analyser la situation. Toutes les options restent ouvertes sur les liens d’avenir entre la Suisse et ce traité. Le gouvernement n’a cependant annoncé aucune échéance à ses réflexions.

Rédigé par Julien Tinner

Sources:

© Fréquence Banane - 2024
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