Cully Jazz en poésie : rencontre avec aja monet

Cully Jazz en poésie : rencontre avec aja monet

Cully - aja monet a enchanté les spectateur.ice.s du Cully Jazz. Mélangeant poésie et musique, la poétesse new yorkaise parle d’amour et d’espoir au-delà du présent terrifiant et de la condition de la société. À l’occasion de son concert, Fréquence Banane a eu la chance d’échanger autour de son premier album « When the Poems Do What They Do », de la musique et du pouvoir des mots.

Festivals
27 avril 2025

Les musicien.ne.s viennent de terminer la répétition avec la poétesse. Nous nous trouvons dehors, direction les stands de nourriture pour enfin manger avant le concert. Avec vue sur la jolie petite ville, on commence à discuter.

Vous vous décrivez en tant que poète surréaliste blues, qu’est-ce que cela veut dire pour vous ?

C’est juste une référence à mon héritage. Quand vous dites « poète », vous pouvez être n'importe qui. La plupart des gens pensent à la poésie européenne classique comme Shakespeare. Ils ne savent pas qu'il existe d'autres cultures et d'autres façons d'aborder la poésie qu'il est important de connaître. Ce titre place mon travail dans un certain contexte culturel particulier. Ainsi, lorsque je parle de surréalisme, cela invite les gens à s’intéresser le mouvement. Ces personnes découvriraient alors la culture du blues et les musicien.ne.s avec lesquels je suis en conversation.

Et qui étaient les surréalistes ?

Les surréalistes essayaient d'explorer le subconscient et pénétrer les profondeurs du soi. Leur démarche visait à subvertir et déconstruire la réalité. C'était une posture de questionnement : interroger le paysage politique dans lequel nous évoluons, faire progresser la condition humaine et réfléchir de manière critique à notre manière de vivre ensemble. Il s'agit de mettre la réalité sens dessus dessous.

Qui est-ce que vous considériez comme vos plus grandes inspirations du moment ?

En ce moment, je suis ma plus grande source d'inspiration. Je n'ai jamais dit cela auparavant, mais c'est ce que j'aimerais dire à cet instant. Je fais des choses que je n'aurais jamais cru pouvoir faire, et je me suis créé une vie avec la poésie. Et j'ai l'impression de faire quelque chose de différent, vous savez ? J'essaie d'exprimer quelque chose d'unique à notre époque et ça semble marcher parce que je vois d'autres faire de même. Bien sûr, il y a des artistes à qui je rends hommage, que je remercie d'avoir tracé la voie et posé les fondations du travail que je fais. Mais j'essaie de faire autre chose. Et je pense que parfois les gens sont tellement pris par l'influence qu'ils oublient que ce que vous faites en réalité, c'est un art et une expertise unique à vous. Alors, je suis très inspirée par les personnes qui comprennent pleinement ce que je recherche et qui veulent sincèrement collaborer avec moi. Je suis donc inspirée par les musicien.ne.s avec lesquels je joue.

Avec votre récent album, vous avez commencé à combiner vos poèmes avec la musique. Qu'est-ce qui vous a amené à faire cela ? Selon vous, pourquoi cette combinaison est-elle si harmonieuse ?

Tous simplement, parce que la poésie est de la musique. Je ne pense pas que ce soit nécessairement nouveau, j’existe dans la continuité d'une longue tradition de gens qui savaient que ce qu'ils faisaient était musical ! Et, je pense que tous les grands poètes devraient se préoccuper de la musicalité du langage. Pour moi, il n'y a pas de séparation entre la poésie et la musique. C’est de là peut-être que vient ma frustration avec certaines personnes qui se disent poètes, alors que je ne sais pas si ce qu'elles font est vraiment de la poésie. Je ne comprends pas comment quelqu'un peut lire des mots et se dire poète, alors qu'il n'y a pas de rythme, pas de cadence, pas de ton, pas d'énergie dans son travail. On n'a pas l'impression que la personne sait ce qu’elle dit, ni qu’elle a réfléchit à la manière dont elle communique ou qu’elle le pense vraiment, parce que la manière dont tu dis quelque chose est tout aussi importante que son contenu. Autrement, à mon avis, cela manque de sincérité.

La faute en revient peut-être à notre système éducatif : la manière dont nous apprenons la poésie est intrinsèquement défectueuse. Je pense qu'il y a beaucoup plus à explorer, à écouter et à expérimenter que ce qui nous est présenté à l’école. J’ai étudié une tradition, le surréalisme blues, qui guide tout mon travail. Avec le temps, j'ai développé des techniques et affiné mon goût pour le langage, le rythme et les sonorités. C’est un véritable métier, qui demande d’étudier, d'écouter et d’apprendre des autres poètes.

Selon vous, quel est le sens de la poésie ? Pourquoi est-elle si puissante ?

Je ne sais pas pourquoi elle est puissante pour d'autres, mais je sais ce qu'elle veut dire pour moi. Son pouvoir peut changer ou même dépendre de chaque poème. Un poème peut aider à mettre des mots sur une émotion, à comprendre ou même ressentir plus clairement une expérience de vie, qu'il s'agisse d'amour, de désespoir, de chagrin, de perte, de joie, de plaisir ! La poésie, pour moi, est l'effort de se connecter, de communier, de communiquer et d'accéder une certaine conscience de tes expériences en tant qu’humain. Son sens évolue donc. Il y a des moments où les poèmes ont une résonance et d'autres où ils n'en ont pas, vous savez ? Cela dépend de ce qu'une personne apporte à l’œuvre. La poésie est une approche, une façon de voir le monde. Il s'agit moins du poème en lui-même que de la manière dont vous percevez le monde.

Étant donné la situation politique aux Etats-Unis, comment pensez-vous que la poésie peut parler des événements, et inciter les gens à faire quelque chose ?

Je pense que la poésie ne peut rien faire que vous n'ayez fait vous-même. Je n’essaie pas de faire bouger les gens dans une direction ou une autre, j'essaie de me faire bouger pour que je fasse quelque chose de différent aujourd'hui qu’hier. Et parfois, cela signifie que tout ce que je peux faire, c'est écrire un poème. J'apprends que c'est suffisant. J'apprends que la capacité de contempler, la capacité d'avoir un espace loin des gens et juste ressentir, penser et digérer, est importante. Parce que cela m'aide à atteindre un espace en moi-même où je pourrais être un exemple pour quelqu'un, et que cette personne puisse ensuite être un exemple, et que cela se répercute. Je ne sais pas jusqu'où cela ira, mais je sais que si je peux toucher une personne, quoi que je fasse, alors c'est suffisant ! Je n'ai donc pas de grandes attentes à l'égard de la poésie. Je pense que la poésie est ce que les gens en font. C'est ce que les gens pensent qu'elle doit être, et c'est aux gens de décider comment ils vont vivre les poèmes.

La poésie, comme la musique, est toujours là, que vous en soyez conscient ou non, elle existera toujours. Soit vous êtes branché.e et l’entendez, soit vous ne l'êtes pas. Heureusement, nous avons encore des individus qui ont une sensibilité pour la poésie, mais la plupart des gens se sont fait voler cette compréhension. Je pense que la plus grande des tragédies est que les plus hautes expressions de la dignité humaines nous soient volées. Alors c'est notre travail, aux artistes et poète.esse.s, de démocratiser l’expression, de rendre ces choses plus accessibles pour que d'autres puissent écrire leurs propres poèmes, chanter leurs propres chansons, danser leurs propres danses et peindre leurs propres tableaux.

Une telle accessibilité permettrait aux gens de mieux communiquer, et surtout, de travailler leur intérieur et de partager. Ce serait se comprendre. Je pense que c’est la meilleure raison pour être sur terre.

Pour moi, cela ressemble à une communauté volée, à une culture volée.

Oui. C'est l'une des premières choses qu'ils retirent des cultures lorsqu'ils essaient de coloniser les gens, vous savez ? Ils prennent leurs artistes, leurs érudits, leurs penseurs, et ils les détruisent.

Merci beaucoup. Et bon concert ce soir à Cully Jazz !

Merci à vous !

Propos recueillis par Elvire Akhundov.

poeme aja monet

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