Disney à Abou Dhabi: l’usine à rêve au pays de l’or noir

Disney à Abou Dhabi: l’usine à rêve au pays de l’or noir

Le 7 mai dernier, Disney a annoncé l’ouverture d’un nouveau parc d’attractions à Abou Dhabi, la capitale des Émirats arabes unis, un pays connu pour bafouer les droits de l’Homme. Quelle mouche a piqué la souris?

Politique & Société
14 mai 2025

« Il était donc évident pour nous que parmi tous les endroits possibles, aucun ne semblait meilleur que celui-ci ». Bob Iger, le PDG de Disney était éloquent lorsqu’il a annoncé à la presse que l’entreprise allait ouvrir un septième parc, après 2 aux Etats-Unis, 1 en Europe et 3 en Asie orientale. Pour justifier son nouveau projet, Iger a évoqué les investissements massifs des Émirats arabes unis dans son secteur touristique au cours des vingt dernières années. Une démarche qui s’inscrit dans la stratégie des Émirats visant à attirer 39 millions de touristes d’ici 2030, un objectif crucial pour remplir les caisses de l’État quand les réserves de pétrole seront à sec. Au menu de ce parc flambant neuf, hôtels, restaurants et une version modernisée du château de la Belle au Bois dormant aux contours plus « orientaux ». Toujours selon Bob Iger, le projet va «mélanger les histoires et les personnages formidables de Disney avec la culture et le goût de ce pays et de cette région». Néanmoins, le choix des Émirats arabes unis - régulièrement pointé du doigt pour leurs atteintes au droit de l’Homme - comme hôte de ce projet gargantuesque étonne et suscite des critiques chez les fans et dans les médias américains.

Quid des droits humains et de l’environnement?

Sur son site, Human Rights Watch dénonce le « mépris total du système judiciaire » des Émirats envers la dissidence politique, en témoigne un procès de masse qui a condamné 53 opposants à de lourdes peines en 2024. L’homosexualité est passible de peine de mort et la torture est encore d’actualité. Le pays a même interdit plusieurs productions Disney récentes pour des représentations homosexuelles comme Buzz l’Éclair, ou encore Doctor Strange in the Multiverse of Madness. Une situation qui tranche avec les derniers films de la firme qui prône plutôt la différence. En février dernier, Disney annonçait lever le pied sur ses politiques de diversité. Difficile de ne pas pointer le timing du doigt, surtout que des bruits de couloir évoquent que le projet d’un septième parc n’était pas du tout à l’ordre du jour au début de l’année. Cette nouvelle itération disneysque pose aussi des défis écologiques : construit en plein désert, le parc devra largement être couvert et climatisé. Si on compte les 8 années de construction prévues, l’incidence environnementale sera non négligeable. Surtout que le nouveau parc sera érigé sur le symbole même du factice émirati.

Disney n’aura pas à sortir son portefeuille

C’est sur l’île artificielle de Yas que l’iconique château va sortir de terre. Située à une heure en voiture d’Abou Dhabi, cette île incarne un gigantesque projet touristique et mégalo construit ex-nihilo dès 2006 pour plus de 40 milliards de dollars. Elle comprend notamment le circuit du Grand Prix automobile d’Abu Dhabi, quatre parcs d’attractions - dont un Sea World- , des hôtels de luxe ou encore un centre commercial de 23 hectares. Le tout construit et administré par une seule entreprise au monopole complet: Miral. Le rôle de cette dernière est essentiel pour comprendre pourquoi Disney s’implante au Moyen-Orient. Ce sera Miral qui prendra à sa charge la construction et la gestion du parc, Disney ne leur fournira que les plans et leur expertise. En d’autres termes, Disney ne lâchera pas un seul centime dans son nouveau projet, mais touchera quand même des droits d’exploitation. Une situation gagnante pour les deux parties. D’un côté, Miral se dote d’une pièce maîtresse pour sa gamme d’attractions susceptible de provoquer un appel d’air pour le reste du pays. De l’autre, Disney renforce son soft-power et sa présence au Moyen Orient, une région éloignée de tous ses autres parcs. Un carrefour stratégique au coeur de trois continents, ciblant ainsi le marché touristique émergeant des pays voisins. D’autant plus que les Émirats, plaque tournante des vols internationaux, sont plus accessibles que les États-Unis ou le Japon. On ne peut s’empêcher de penser que la proposition financière de Miral a fini par convaincre Disney, qui vit des années délicates, la faute à un box-office en baisse et à l’érosion de sa plateforme de streaming Disney +. Le géant de Burbank pourra ainsi concentrer ses investissements sur ses parcs déjà existants ainsi que sur sa flotte de bateaux de croisière, bien plus rentable pour lui. Sans oublier les autres avantages inhérents du pays : la profusion des terrains constructibles et de main d’œuvre pas chère. Au pays de l’or noir, Mickey Mouse, l’apprenti sourcier, va faire jaillir les gisements de billets verts.

Antoine Pingoud

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